Entretien avec Bahija Gouimi, présidente de l’Association des malades atteints de leucémie (Amal)
ALM : Quelle a été votre motivation première pour créer l’association Amal ?
Bahija Gouimi : Moi-même diagnostiquée d’une leucémie en 2002, j’ai souffert du manque de disponibilité de traitement et de soutien psychologique. Et c’est ce qui m’a motivée à créer l’association Amal. Le cancer est devenu, par ailleurs, une maladie chronique et l’accompagnement en plus de la thérapie sont nécessaires. Je souhaite partager mon expertise pour améliorer des choses pour que d’autres personnes ne soient plus seules face au cancer.
Quelles sont les missions que vous vous êtes assignées ?
L’association Amal, sise à Marrakech, a pour mission essentielle d’améliorer les conditions des malades atteints de leucémie au Maroc. Elle participe à la lutte des différentes leucémies et maladies similaires par la sensibilisation, le dépistage précoce, l’éducation non seulement des malades mais aussi des parents. L’éducation thérapeutique représente un point très important parce que près de 50% des patients ne suivent pas leur prescription médicale ou bien l’utilisent de manière différente. C’est dans cette optique que l’association vise à éduquer les patients à la prise correcte du traitement prescrit par leur médecin traitant. La structure accompagnera les patients aussi sur le plan psychologique. Et surtout quand il s’agit aussi d’une personne qui est passée par là, ça ne peut qu’être que bénéfique pour le malade. Un autre objectif est de créer un cadre de rencontre pour le malade, les familles, les médecins traitants, les psychologues et autres acteurs.
Sensibiliser les pouvoirs publics et la société civile quant aux contraintes matérielles et morales fait partie de notre quotidien. Il s’agit d’humaniser l’accueil et améliorer les conditions de prise en charge des malades atteints de leucémie. Et c’est pourquoi notre projet phare a porté sur une structure d’hébergement aux patients et accompagnateurs qui habitent loin des Centres hospitaliers Universitaires et qui viennent pour leur cure de chimiothérapie. Le but est qu’ils n’interrompent pas leur traitement faute de moyens financiers pour se déplacer. La maison sera là pour leur offrir ce cadre et ainsi de leur permettre de ne pas abandonner leur traitement thérapeutique.
Quels sont les partenaires qui vous ont soutenu pour sa création et sa mise en service ?
En 2017, une collecte de fonds a permis l’acquisition d’un terrain. Cette dernière représentant facilement les 30% du projet nous a permis de trouver des partenaires. Le business plan a pu être ainsi présenté à des ONG nationales et internationales qui nous ont aidé à construire cette maison ainsi que son aménagement. Je cite Ayadi Baydaa, Eurosky et l’organisation italienne Soleterre.
Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées dans la mise en œuvre du projet ?
Chaque projet a son lot de difficultés et de contraintes mais sa planification aide à les réduire. A mon niveau, l’attente de l’autorisation de construire a pris deux ans. Et il a fallu chercher en même temps des partenariats… C’est le 6 mars 2020 que les travaux ont démarré et ce n’est qu’en juin dernier que le projet est arrivé à son aboutissement en raison de la crise sanitaire.
De quels moyens avez-vous besoin aujourd’hui pour la mise en service effective de Dar Amal?
La maison est construite de telle sorte à recevoir des patients indépendants… La raison est là mais nous n’avons pas tous les équipements. La gestion est aussi à prendre en compte puisque chaque mois nous allons devoir faire face aux dépenses du personnel et aux charges quotidiennes et mensuelles. Les ressources ont été identifiées. Nous avons besoin d’une femme de ménage, d’un agent de sécurité, d’une assistante pour accueillir les patients et bien sûr la personne qui va gérer le lieu en lui-même.
Quelles sont les activités prévues pour faciliter l’accompagnement des malades ?
Les activités sont essentiellement de soutien. Le nouveau patient est accueilli et hébergé. On le laissera prendre sa douche pour se sentir à son aise et après on lui fera une visite de la maison et les espaces communs. On lui présentera les autres patients… En général, il sera pris en charge soit par un ancien patient déjà résident, soit par un professionnel, soit par un parent résident pour être soulagé et accompagné sur le plan psychologique. Nous avons prévu plusieurs actions. Déjà, nous allons célébrer ensemble les fêtes nationales, et religieuses pour leur faire sentir qu’ils sont chez eux .. Les bénévoles viendront régulièrement offrir des prestations à ces personnes. Nous avons déjà identifié un artiste peintre qui va aider ces enfants, ces femmes, ces hommes à créer des tableaux pour extérioriser leur douleur, leur souffrance. La fabrication de colliers en perles et la broderie seront aussi proposées aux femmes malades. Et si on découvre qu’une femme malade ou maman d’un enfant sait faire quelque chose alors on l’invitera à partager sa passion avec les autres.
Justement vous êtes experte patient partenaire en oncologie. Comment comptez-vous mettre à contribution ces compétences au quotidien dans le cadre de Dar Amal ?
Je veux partager tout ce que j’ai reçu comme connaissance et savoir avec les patients et résidents Dar AMAL. Le patient partenaire chargé de l’accueil représentera justement le maillon important de la prise en charge du nouveau patient. Il s’agira du premier contact avec le nouveau arrivant et il aura un impact direct sur la facilitation de la prise en charge thérapeutique. Il peut aussi soulager le patient qui souffre de douleurs lors de sa cure… Au début, le patient a peur. Il ne veut pas partager son intimité mais l’accompagnateur l’aidera à dépasser ces obstacles psychologiques. Et ce n’est qu’à ce moment que le nouveau venu pourra être accompagné par plusieurs anciens résidents. Je prévois aussi un dernier accompagnement le jour de son départ … A ce stade, cette discussion permettra de savoir si le patient est capable de franchir le cap et de se prendre en charge lui-même pour ne pas rater ses prochains rendez-vous, faire face aux effets secondaires de la chimiothérapie… A terme le patient Amal pourra être un expert patient partenaire car il connaît tous les circuits administratifs de prise en charge thérapeutique, les structures hospitalières, les laboratoires dédiés… Il aura aussi tous les réflexes pour accompagner d’autres patients atteints d’une leucémie sous forme d’ateliers par exemple. Il peut aussi former les bénévoles à devenir des accompagnateurs sans forcément qu’ils aient connu l’expérience du cancer.
Comment optimiser cet accompagnement, selon vous, et surtout le généraliser à l’ensemble du territoire national?
L’Etat doit subventionner de telles structures pour qu’elles soient digne du patient marocain. L’initiative doit être également encouragée par les instances médicales de telle sorte à ce que nous ne soyons pas livrés à nous mêmes. Ce n’est que de cette manière que la pérennité sera garantie car la quête de partenaires est un exercice ardu et qui ne permet pas de se développer durablement. Ma suggestion est aussi de former du personnel pour qu’il puisse garantir la continuité d’un tel projet. La généralisation sur tout le territoire pourra être envisagée dans ce cadre. Car le manque d’accompagnement est réel. Certains venant de très loin sont contraints d’abandonner leur traitement faute d’habitation alors que la prise en charge thérapeutique dans le cadre du Ramed est effective. Le dilemme se situe à ce niveau.
Le mot de la fin peut être…
Aujourd’hui, les systèmes de soin sont appelés à renforcer les capacités d’accueil des patients pour faire face aux différents problèmes liés à l’hébergement et à la gestion. C’est ce qui permettra de donner l’opportunité aux patients partenaires de jouer pleinement leur rôle d’une manière efficace et digne d’un patient marocain.
«A terme le patient Amal pourra être un expert patient partenaire car il connaît tous les circuits administratifs de prise en charge thérapeutique, les structures hospitalières, les laboratoires dédiés …».
Source : Aujourd’hui.ma