En France, quatre clusters de cancers pédiatriques ont été signalés ces dernières années, notamment près de Rouen dans l’Eure et en Seine-Maritime. Et les parents sont déterminés à trouver qui est responsable.
Au sud de Rouen, autour de Pont-de-l’Arche, seize enfants sont tombés malades en cinq ans : leucémie, lymphome, tumeur cérébrale… Ils avaient entre 2 et 14 ans au moment du diagnostic.
Pour savoir pourquoi ils sont tombés malades, leurs parents ont fait des analyses sur leurs cheveux et ceux d’enfants bien portants avant de se réunir dans la salle des fêtes d’Igoville, pour commenter le résultat de ces tests. L’association des sinistrés de Lubrizol, cette usine chimique qui a brûlé en 2019, leur a fourni des kits de prélèvements et le laboratoire ToxSeek a pratiqué les analyses. Les résultats sont accablants : chez la quasi-totalité des onze enfants testés, il y a du plomb en quantité anormale, mais aussi du Cérium et du Lanthane, deux métaux rares que l’on trouve dans les téléphones ou dans les batteries.
Deux polluants de source environnemental ont été détectés 🔽https://t.co/Zll8dxHEle
— France Bleu Normandie (Seine-Maritime, Eure) (@fbleuhnormandie) June 25, 2022
Hugo a 13 ans. Il a été traité pour un lymphome. Il est actuellement en rémission et veut mettre la main sur le responsable. « Si j’ai eu cette douleur, c’est forcément par la faute de quelqu’un ou de quelque chose », se révolte-t-il, confiant avoir « une envie de vengeance. Qu’ils payent ! Je sais qu’au final, ceux qui ont fait ça seront punis, ça me réconforte ».
Matthieu Davoli, co-fondateur du laboratoire ToxSeek, (2eG) explique aux parents les résultats des analyses des cheveux de leurs enfants atteints de cancer à Igoville dans l’Eure (juin 2022). (ANNE-LAURE DAGNET / RADIO FRANCE)
Mais trouver le responsable est loin d’être simple. ToxSeek est le seul laboratoire capable de traquer 1 800 polluants et 49 métaux lourds et pourtant son co-fondateur, Matthieu Davoli, ne peut pas déterminer la cause de ce nombre anormal de cancers pédiatriques. « On ne peut faire qu’un constat toxicologique, explique-t-il. On ne peut pas faire le lien de causalité, ce n’est pas notre métier. En revanche, les associations peuvent utiliser ces analyses pour chercher des sources potentielles ou des facteurs qui auraient pu amener à la création de ce type de cancers. »
Justement, ces parents qui habitent près de Rouen, ont monté une association pour trouver l’origine des cancers de leurs enfants et ils veulent poursuivre leurs investigations. Coralie Jarguel est la maman d’Hugo. Elle a monté l’association « Cancers : la vérité pour nos enfants » avec deux autres mamans d’enfants malades et pour elle, le résultat de ces analyses de cheveux est déjà un bon début.
« On s’engouffre dans la brèche et on va aller creuser, lance-t-elle, combative. La suite, c’est de lister toutes les industries et voir celles qui peuvent potentiellement dégager du plomb. » Si elles trouvent le responsable, ces mamans iront en justice. « Pour que ça s’arrête, déclare Coralie Jarguel. Notre objectif, notre ambition, c’est qu’il n’y ait plus d’enfants malades. »
Dans le viseur de l’association, il y a les deux antennes relais installées près du collège et une entreprise plus polluante que les autres. Les parents d’Igoville et de Pont-de-l’Arche veulent faire d’autres analyses, de sang notamment, en impliquant plus de monde.
La salle des fête d’Igoville habillée par l’association Lubrizol d’une bannière sur les accidents industriels dans la région (juin 2022). (ANNE-LAURE DAGNET / RADIO FRANCE)
Sollicitées par les parents de ces enfants atteints d’un cancer, les autorités sanitaires ont, elles aussi, mené l’enquête. L’Agence régionale de santé de Normandie, la direction régionale de l’environnement et SPF ont conclu qu’il y a bien un cluster de cas de leucémies mais les analyses de l’air et de la pollution environnementale n’ont pas permis de détecter de facteurs d’exposition communs pour tous les enfants malades, donc pas de coupables désignés.
Une étude à grande échelle nécessaire pour prouver le lien de cause à effet
Pour les trouver, il faudrait des analyses plus poussées, en laboratoire, explique Robert Barouki, toxicologue, directeur de recherche à l’Inserm : « Pour faire la preuve que c’est bien ce facteur chimique qui est à l’origine de cette pathologie, il faut passer au niveau expérimental où nous pouvons, par exemple, ajouter ces substances à des cellules, voir quel est leur impact et corréler ça à ce qui se passe en épidémiologie humaine. Il faut les deux pour pouvoir être sûrs. »
En résumé, ce qu’il faudrait pour établir la cause de ces cancers, ce sont de vastes études menées sur un grand nombre de personnes, idéalement des femmes enceintes qui seraient suivies avec leurs enfants pendant des années, avec beaucoup de prélèvements effectués : cheveux, sang, urine, peau… Et une fois les fautifs identifiés, passer à la recherche en laboratoire pour prouver que les molécules incriminées sont bien responsables de ces cancers. Or, pour l’instant, en France, aucune étude de cette ampleur n’a été lancée.
Source : France Info